Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

24/07/2014

L'écologie humaine, source de bien-être (1)

  sainte-hildegarde.jpg

Du 19 au 24 juillet (au Foyer de charité de Baye en Champagne) se tenait la session 2014 de l'université d'été Sainte Hildegarde de Bingen, sur le thème de l'espoir face à la souffrance :

 


 

Au programme de cette université d'été, des ateliers pratiques : musique et psychothérapie, chants de sainte Hildegarde, botanique, cuisine...Et six conférences-débat pluridisciplinaires, données notamment par des médecins : Pathogenèse et prévention du cancer / Face aux souffrances morales et physiques, retrouver le sens de l'harmonie de l'univers / Les petites misères qui nous gâchent la vie / Diabète : une maladie différente / Faim et soif en fin de vie / L'hospitalité fraternelle apaisante / La médecine de sainte Hildegarde face aux souffrances / et ma propre conférence (L'écologie humaine, source de bien-être), dont voici le texte :

 

 

 

« Chercher le bien-être » est le leit-motiv de la société actuelle. Cette idée inspire non seulement le marketing du cadre de vie et du confort, mais elle a envahi tous les autres domaines, dont le politique et le spirituel. Le POLITIQUE est sommé de ne plus viser à rien d'autre qu'au « bien-être » matériel et psychique de l'individu, vu comme un consommateur et non comme un citoyen. Le SPIRITUEL lui-même est réduit à un bien-être qui s'étendrait du physique au mental : une sorte de confort supérieur, orné d'emprunts à ce que les Occidentaux appellent « spiritualités orientales », et qui n'est qu'un recyclage commercial d'éléments sortis de leur contexte culturel. Les grandes religions sont ainsi sommées de s'aligner, elles aussi, sur cette « spiritualité » réduite à un « bien-être » (une certaine conception du bien-être).

Le christianisme tout spécialement fait l'objet de cette sommation, car il est considéré aujourd'hui comme hostile au bien-être ! Ce qui lui crée un double problème... Problème externe, dans la mesure où la société ambiante considère le christianisme avec un a priori défavorable (à cause de son image d'hostilité au bien-être). Problème interne, dans la mesure où des chrétiens (plus proches de la société ambiante que de la culture chrétienne) ne comprennent pas pourquoi l'Eglise ne s'aligne pas sur la société.

Ce quiproquo repose sur une erreur de perspective. En réalité le christianisme a bel et bien une conception du bien-être, comme on peut le constater par exemple dans les textes de sainte Hildegarde de Bingen : mais cette conception chrétienne n'a aucun rapport avec la conception du bien-être qui règne dans la société actuelle, et qui s'est emparée de tout dans notre vie quotidienne. Si vous consultez l'internet, on vous explique que le bien-être psychologique provient « de satisfactions financières, professionnelles et sentimentales » : c'est ce à quoi se résume l'horizon humain selon l'idéologie actuelle. Et ces satisfactions, qui les définit ? Le marketing commercial. Il réduit l'homme à un rôle d'individu consommateur dans tous les domaines, y compris « sentimental » (et actuellement « sentiment » et « consumérisme sexuel » sont devenus synonymes : c'est l'un des nombreux domaines où le modèle économique actuel est incompatible avec la vision chrétienne).

Le ressort du marketing est de nous faire consommer toujours plus, dans tous les domaines, donc acheter toujours plus de services, de biens et d'objets : tout ce qui était gratuit autrefois doit devenir payant, et si nos besoins en objets utiles sont saturés, le marketing est là pour nous donner envie d'acheter toujours plus d'objets inutiles. C'est la consommation de masse, sans laquelle notre système économique s'écroulerait.

Cette société du matérialisme individualiste dévitalise en nous les dimensions non-marchandes : le culturel, le spirituel, et jusqu'à la sociabilité, gravement atteinte dans les vieux pays riches : selon le dernier rapport de la Fondation de France, cinq millions de Français (et ce chiffre s'est aggravé de 10 % entre 2013 et 2014) sont désormais touchés par la solitude subie et durable, du fait du délitement du lien social (dispersion des familles, dissolution des réseaux de voisinage) qui est un effet direct du modèle économique ultralibéral. 

D'autre part, ce modèle, étant productiviste, nous enferme dans l'acte machinal de CAPTER et d'ACCUMULER des biens de confort : souvent des outils de divertissement, gadgets à faire du bruit ou pseudo « réseaux sociaux », conçus pour nous détourner de nous-même... tout en prétendant être « plus intimes à nous-même que nous-même », comme saint Augustin le disait de Dieu ! (on voit pourquoi le pape François qualifie ce système d'« idolâtrie »).

On voit aussi la radicalité du différend entre ce système (cette société) et le christianisme, dont l'idée du bien-être est totalement autre : cette société recherche un faux bien-être, et elle le recherche pour lui-même. Le christianisme, au contraire, cherche avant tout le Royaume et sa « justice » : c'est-à-dire la grâce, pour l'homme, d'être « ajusté » au Royaume. Tout le reste lui est donné « par surcroît » : et ce reste, c'est non pas de CAPTER, mais de RENDRE GRÂCE  ! non pas d'ACCUMULER, mais de s'ÉMERVEILLER... Le bonheur chrétien est la louange et la confiance : et l'état psychique qu'elles créent « par surcroît » est un bien-être sans équivalent.  

Comme dit saint Aelred de Rievaulx, contemporain de sainte Hildegarde au XIIe siècle  (Le Miroir de la charité, III,3-4, Bellefontaine 1992) :

« Tu rejoins l'auberge de ton coeur, où l'on a coutume de se réjouir avec ceux qui sont dans la joie, de pleurer avec ceux qui pleurent, d'être faible avec ceux qui sont faibles, de brûler avec ceux qui sont scandalisés. Là on sentira son âme unie à celle de tous ses frères par le ciment de la charité ; on n'y est plus troublé par les aiguillons de la jalousie, brûlé par le feu de la colère, blessé par les flèches des soupçons ; on est libéré des morsures dévorantes de la tristesse. Si on attire tous les hommes dans le giron pacifié de son esprit, où tous sont étreints, réchauffés par une douce affection et où l'on n'est plus avec eux qu'un coeur et qu'une âme, alors, en savourant cette merveilleuse douceur, le tumulte des convoitises fait aussitôt silence, le vacarme des passions s'apaise, et à l'intérieur s'opère un total détachement de toutes choses nuisibles, un repos joyeux dans la douceur de l'amour fraternel. »

Vous avez entendu : « le tumulte des convoitises fait aussitôt silence, le vacarme des passions s'apaise... » Exactement le contraire du système du marketing, qui repose sur la croissance perpétuelle des convoitises et des passions (ce que les commerciaux appellent nos pulsions). Et ce n'est pas d'hier, puisqu'au XVIIIe siècle Bernard Mandeville, un des père fondateurs de l'idéologie libérale, écrivait dans sa célèbre Fable des abeilles : « Les vices privés font les profits publics ».

A propos du « bien-être par surcroît » dans le christianisme, ajoutons ceci : autour du Salut surnaturel et de l'eschatologie, la vision biblique et la théologie chrétienne nous donnent le bonheur de nous émerveiller devant le Créateur incommensurable, et de le louer pour le cosmos qu'Il a créé accordé à nous (puisqu'Il nous a rendus capables de penser et comprendre le cosmos). 

Emerveillement et gratitude, accord supérieur avec le cosmos... La vision chrétienne du bien-être est d'un tout autre ordre que la vision « matérialiste mercantile » (Jean-Paul II) propre au système actuel. Entre ces deux visions , il y a un gouffre.  

Comment jeter un pont par dessus ce gouffre pour atteindre nos contemporains et leur faire partager le bonheur, le bien-être, de la vision chrétienne de la vie ? L'Eglise du pape François est attelée à ce travail de pontonnier, qui sera long et difficile. Mais elle est aidée aujourd'hui, depuis la rive d'en face, par d'autres pontonniers, dont certains ne savent pas qu'ils sont en train d'aller à la rencontre de l'Eglise.

Je veux parler de ce courant nouveau que l'on appelle « écologie humaine ». (Quant à moi j'aime mieux l'expression : « écologie plénière »). De quoi s'agit-il ?  

Le mot « écologie » vient du grec OIKOS, « la maison » : en écologie environnementale il s'agit de l'environnement où nous habitons : la biosphère, nos divers biotopes, nos milieux de vie. L'écologie environnementale veut préserver la biosphère : l'homme en dépend pour vivre. Or le système économique qui nous surplombe menace la biosphère par surexploitation : d'où le réflexe écologique, apparu dans le troisième tiers du XXe siècle.

Mais le système économique menace aussi le milieu humain  : d'où les appels de tous les papes pour changer ce système économique... Relisons les encycliques sociales : Centesimus Annus, Caritas in Veritate, et l'exhortation apostolique La joie de l'Evangile. Face à un productivisme économique qui étouffe les dimensions spirituelles et culturelles de l'homme, face à un ultralibéralisme qui isole l'individu pour le traiter en matériel jetable (d'où des souffrances humaines qui font partie du thème de cette session), il faut une écologie humaine, qui lutte pour sauvegarder ou ré-instaurer des milieux de vie respectueux de « l'humain ». 

 Cette écologie humaine est le complément de l'écologie environnementale : l'une ne se conçoit pas sans l'autre ! Certains utilisent le terme « écologie humaine » pour l'opposer à l'écologie environnementale, dont ils ne veulent pas... parce qu'ils adhèrent au système économique actuel ; ceux-là ne disent pas la vérité. Ecologie humaine et écologie environnementale, indissociables, constituent ensemble l'écologie plénière.  

Et l'écologie plénière correspond à la démarche chrétienne de louange, d'émerveillement, d'intelligence du réel. Elle est l'une des attitudes, aujourd'hui, des « tout petits » dont parle l'Evangile (notamment Matthieu 11, 25-27) : ceux qui ne se croient pas « grands », qui ne veulent pas se fourvoyer dans ce que l'individu croit pouvoir devenir par ses seules forces et ses caprices : ceux qui ont assez de modestie et de simplicité pour admettre qu'ils dépendent, pour exister, des autres êtres humains (écologie humaine) et de la biosphère (écologie environnementale)...

Cela, tous les vrais écologistes le reconnaissent. Et cette reconnaissance (aux deux sens du mot), les écologistes chrétiens la couronnent par la conscience de notre dépendance radicale envers le Créateur, qui à chaque instant nous crée ainsi que toutes les créatures  : ce qui fait de celles-ci « nos soeurs », comme le dit saint François d'Assise. L'eschatologie enseigne qu'à la fin des temps nous présenterons la Création au Créateur, Père et Fils, dans le Saint Esprit : en répondant librement au don du Créateur, en vivant en relation avec le Créateur, l'homme contribue à l'accomplissement eschatologique de la Création.  

C'est une immense responsabilité. « Si nous abîmons ce monde, nous serons détruits par les démons et privés de la protection des anges », dit sainte Hildegarde. Attention : Hildegarde est docteur de l'Eglise, et elle dit que la verdeur de la planète et la sanctification des humains ont la même source, qui est le jaillissement de l'amour divin ; elle dit que, quand l'humanité ne protège pas le reste de la Création, « la justice de Dieu permet que le reste de la Création punisse l'humanité ». Le livre de la Genèse et les prophètes d'Israël disent d'ailleurs la même chose.

Alors ce qui se passe aujourd'hui, c'est que l'écologie plénière, même quand elle n'a pas conscience de sa proximité avec la vision catholique judéo-chrétienne, nous fait redécouvrir : 

- comment « habiter » la Maison, OIKOS, qu'est le cosmos créé ;  

- comment « habiter » tous ensemble (la famille humaine) cette planète qui est une île dans l'océan du cosmos ;  

- Comment « habiter en jardiniers » la Création, qui nous a été confiée par le Créateur à la Genèse ;  

- Comment « habiter » le temps, qui fait lui aussi partie de la Création puisqu'il commence à la Genèse. (Le croyant sait que la totalité du temps de l'histoire est un minuscule segment débordé de toutes parts par l'éternité : et cette idée nous ramène à l'eschatologie, essentielle dans l'écologie chrétienne contrairement à ce que prétendent les gens mal informés).

 On voit que le bien-être, à travers l'écologie plénière, atteint des dimensions inouïes. Faire savoir cela est la mission des écologistes chrétiens auprès des écologistes non-chrétiens, persuadés depuis les années 1970 que la Bible autorise l'homme à épuiser la planète...

Le monde et la vie sont le don gratuit de Dieu à l'homme, et ce don est le vecteur du Salut en Dieu ; un Salut que la Création tout entière attend à travers l'homme : et l'homme se trouve ainsi responsable de l'univers, explique saint Paul.  

Cette totalité de la promesse divine est la réponse à une intuition de l'écologie depuis le XXe siècle : ce qu'on a appelé le « holisme », terme scientifique.

Le « holisme », du grec HOLOS, « totalité », est l'idée qu'un phénomène est un ensemble indivisible, qui ne se réduit pas à la juxtaposition de ses diverses parties. C'est l'opposé du « réductionnisme », qui déconstruit les phénomènes en les divisant en parties. Exemple de raisonneurs réductionnistes : ceux qui séparent l'écologie humaine de l'écologie environnementale, pour privilégier l'une aux dépens de l'autre : erreur où tombent, de façon symétrique, les libéraux d'un côté, qui rejettent l'environnemental, et, de l'autre côté, les écologistes bobos, qui acceptent qu'on fasse aux gens ce qui ne doit pas être fait à la nature. 

La pensée du HOLOS, au contraire, ne sépare pas ce que Dieu a uni. Elle correspond, sur le plan naturel, à ce qu'est, sur le plan surnaturel, le CAT-HOLICISME , du grec KAT-HOLON qui veut dire « selon la totalité » : à la fois l'universel et l'ensemble du plan divin. Le « catholique » n'est pas réductionniste : il ne sépare pas. Il ne dit pas : « ou bien, ou bien », il dit : « et ceci, et cela ». Il ne dit pas « l'esprit ou bien la matière », parce que ceci et cela (l'esprit et la matière) sont complémentaires jusque sur le plan surnaturel, où nous sommes sauvés par la Passion-Résurrection du Christ. Le Salut est le rachat solidaire de l'humanité par le Christ Dieu et homme : or « par Lui tout a été fait », dit le Symbole de Nicée-Constantinople ; le Salut en Jésus-Christ est donc aussi l'accomplissement de la Création, solidaire dans la lumière et la gloire du Créateur, comme le dit sainte Hildegarde de Bingen...

                                                                                                            (à suivre)